Expérience d'Aspect

L'expérience d'Aspect est, historiquement, la première expérience qui a réfuté de manière satisfaisante les inégalités de Bell dans le cadre de la physique quantique, validant ainsi le phénomène d'intrication quantique,...



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L'expérience d'Aspect est , historiquement, la première expérience qui a réfuté de manière satisfaisante les inégalités de Bell dans le cadre de la physique quantique, validant ainsi le phénomène d'intrication quantique, et apportant une réponse expérimentale au paradoxe EPR, proposé une cinquantaine d'années plus tôt par Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen.

Cette expérience a été réalisée par le physicien français Alain Aspect à l'Institut d'optique à Orsay entre 1980 et 1982.

Contexte scientifique et historique

Avant de parler de l'expérience en elle-même, et pour bien la comprendre, il est indispensable de la replacer dans le contexte historique et scientifique qui a amené à sa réalisation.

Intrication quantique

L'intrication quantique est un phénomène qui a été pour la première fois mis en évidence par Erwin Schrödinger en 1935[1].

La mécanique quantique stipule que deux dispositifs quantiques différents (deux particules par exemple) ayant interagi, ou ayant une origine commune, ne peuvent pas être reconnus comme deux dispositifs indépendants. Dans le formalisme quantique, si le premier dispositif possède un état |\psi\rangle et le second un état |\phi\rangle, alors le dispositif intriqué résultant est représenté par une superposition quantique du produit tensoriel de ces deux états : |\psi\rangle|\phi\rangle. Dans cette notation, il apparaît nettement que l'éloignement physique des deux dispositifs ne joue aucun rôle dans l'état d'intrication (car il n'apparaît aucune variable de position). L'état quantique intriqué reste semblable - toutes choses étant identiques d'autre part - quel que soit l'éloignement des deux dispositifs.

Donc, si une opération de mesure est effectuée sur ce dispositif quantique intriqué, alors cette opération est valable pour les deux dispositifs composant l'intricat : les résultats des mesures des deux dispositifs sont corrélés.

Paradoxe EPR

Icône de détail Article détaillé : Paradoxe EPR.

Ce résultat a profondément choqué Albert Einstein qui avait une vision réaliste locale de la physique. Cette vision mène à la conclusion que si l'acte de mesure influe sur les deux dispositifs, c'est qu'il existe alors une influence se propageant d'un dispositif à l'autre, à une vitesse ne pouvant excèder celle de la lumière. Or le formalisme quantique prévoit que l'influence de l'acte de mesure sur les deux composantes d'un dispositif intriqué est instantané, quel que soit l'éloignement des deux composantes.

Toujours en 1935, Albert Einstein, Boris Podolsky, et Nathan Rosen (E. P. R. ) ont alors imaginé une expérience de pensée qui, si on estimait que les états intriqués existent réellement, mène à un paradoxe : soit une influence se déplace plus vite que la lumière (non-causalité), soit la physique quantique est incomplète. Aucun des deux termes de l'alternative n'était acceptable à l'époque, d'où le paradoxe.

Ce paradoxe était d'une grande importance historique, mais n'a pas eu de retentissement immédiat. Seul Niels Bohr a pris au sérieux l'objection apportée par ce paradoxe, et a tenté d'y répondre. Mais cette réponse était d'ordre qualitatif, et rien ne permettait de trancher de manière indubitable entre les deux points de vues. Ainsi, la réalité de l'intrication restait alors une question de point de vue sans support expérimental direct, l'expérience EPR n'étant pas réalisable (à cette époque) en pratique.

En effet, deux obstacles majeurs s'opposaient à la réalisation de cette expérience : d'une part les moyens techniques de l'époque étaient insuffisants, mais également (et en particulier) il n'y avait apparemment aucun moyen de mesurer directement (par des critères quantitatifs) les effets EPR.

Inégalités de Bell

Icône de détail Article détaillé : Inégalités de Bell.

Les choses sont restées environ en l'état jusqu'en 1964. Le physicien irlandais John Stewart Bell publia alors un article dans lequel il mit en évidence des effets quantitatifs et mesurables des expériences de type EPR. Ce sont les fameuses inégalités de Bell. Ces inégalités sont des relations quantitatives que doivent vérifier les corrélations de mesures entre dispositifs qui respectent complètement la causalité relativiste. Si ces inégalités sont violées, alors il faut admettre des influences instantanées à distance.

Ces inégalités permettaient de lever un des deux obstacles à la réalisation d'expériences EPR. Mais en 1964, les moyens techniques étaient toujours insuffisants pour mettre en place concrètement ce type d'expérience.

Premières expériences de test des inégalités de Bell

La réalisation d'expériences EPR a commencé à être techniquement envisageable à partir de 1969, un article ayant été publié montrant la faisabilité d'une expérience[2].

Deux universités, Harvard et Berkeley, ont commencé à mettre en œuvre un protocole expérimental sur ces bases, et les expériences ont eu lieu en 1972. Les résultats furent contradictoires : Harvard constata une vérification des inégalités de Bell, et donc une contradiction avec les prédictions de la physique quantique. Berkeley trouva au contraire une violation des inégalités de Bell, et une vérification de la physique quantique.

Le problème avec ces expériences était surtout une source de particules intriquées peu fiable ainsi qu'à faible débit, ce qui nécessitait des temps d'expériences s'étendant sur plusieurs jours en continu. Or, il est excessivement complexe de maintenir des conditions expérimentales constantes et maîtrisées sur un temps aussi long, en particulier avec des expériences aussi délicates. Les résultats des deux expériences étaient par conséquent sujet à caution.

En 1976, la même expérience fut répétée à Houston avec une meilleure source de photons intriqués, de débit plus élevé. Cela permettait de descendre le temps de l'expérience à 80 minutes. Mais en contrepartie, les photons n'étaient pas polarisés de manière optimale pour faire apparaître clairement les violations des inégalités de Bell. Néanmoins, cette expérience montra une violation des inégalités de Bell. Mais celle-ci était faible, et le doute était toujours permis.

Mais également - et en particulier en fait - ces expériences n'étaient pas suffisament élaborées pour évacuer la possibilité de corrélations (qui entraînent une violation des inégalités de Bell) qui serait dues à une influence ou à un signal quelconque, classique, de vitesse infra-luminique se propageant entre les deux particules.

Enfin, le schéma expérimental utilisé par toutes ces expériences était particulièrement éloigné du schéma «idéal» utilisé par John Bell pour démontrer ses inégalités : on n'était par conséquent pas certain que les inégalités de Bell puissent s'appliquer telles quelles à ces expériences.

Les expériences d'Aspect (1980-1982)

En 1980, il manquait par conséquent toujours une expérience décisive vérifiant la réalité de l'état d'intrication quantique, sur la base de la violation des inégalités de Bell.

Alain Aspect a spécifié son expérience pour qu'elle puisse être la plus décisive envisageable, c'est-à-dire :

  • Elle doit avoir une excellente source de particules intriquées, afin d'avoir un temps d'expérience court, et une violation la plus nette envisageable des inégalités de Bell.
  • Elle doit mettre en évidence non seulement qu'il existe des corrélations de mesure, mais également que ces corrélations sont bien dues à un effet quantique (et donc à une influence instantanée), et non à un effet classique qui se propagerait à une vitesse inférieure ou identique à celle de la lumière entre les deux particules.
  • Le schéma expérimental doit être le plus proche envisageable du schéma utilisé par John Bell pour démontrer ses inégalités, pour que l'accord entre les résultats mesurés et prédits soit le plus significatif envisageable.

Rappel du schéma «idéal» de John Bell

Expérience

Le schéma ci-dessus représente le schéma de principe a partir duquel John Bell a démontré ses inégalités : une source de photons intriqués S émet simultanément deux photons ν1 et ν2 dont la polarisation est préparée de telle manière que le vecteur d'état de la totalité des deux photons soit :

|\psi(\nu 1,\nu 2)\rangle = {1 \over \sqrt{2}} \left\{ | \uparrow , \uparrow\rangle + | \rightarrow , \rightarrow \rangle \right\}

Cette formule veut dire tout simplement que les photons sont en état juxtaposé : l'ensemble des deux en polarité verticale, ou tous deux en polarité horizontale, perpendiculaire, avec une probabilité identique.

Ces deux photons sont ensuite mesurés par deux polariseurs P1 et P2, chacun ayant un angle de mesure paramétrable α et β. Le résultat de la mesure de chaque polariseur est (+) ou (-) selon que la polarisation mesurée est respectivement parallèle ou perpendiculaire à l'angle de mesure du polariseur.

Il y a un point important à souligner ici : les polariseurs imaginés dans cette expérience parfaite donnent un résultat mesurable dans le cas (+) ET dans le cas (-). Ce n'est pas le cas de l'ensemble des polariseurs réels : certains détectent le cas (+) par exemple, et ne détectent rien (le photon ne ressort pas du polariseur) pour le cas (-). Les premières expériences, relatées ci-dessus, utilisaient ce genre de polariseur. Les polariseurs utilisés par Alain Aspect détectent bien les deux cas (+) et (-), se rapprochant ainsi de l'expérience parfaite.

Etant donné le système et l'état de polarisation d'origine donné aux photons, la mécanique quantique sert à prédire les probabilités de mesurer (+, +), (-, -), (+, -) et (-, +) sur les polariseurs (P1, P2), orientés sur les angles (α, β)  ; pour rappel :

P_{++}(\alpha,\beta) =  P_{--}(\alpha,\beta) = {1 \over 2} \cosˆ2(\alpha-\beta)

P_{+-}(\alpha,\beta) =  P_{-+}(\alpha,\beta) = {1 \over 2} \sinˆ2(\alpha-\beta)

On peut démontrer (voir article Inégalités de Bell) que la violation maximale des inégalités est prévue pour |α-β| = 22°5

Description du système expérimental

Alain Aspect (avec la collaboration aussi des physiciens Philippe Grangier, Gérard Roger et Jean Dalibard) a réalisé un certain nombre d'expériences, de plus en plus complexes, entre 1980 et 1982.

Seule l'expérience la plus complète, réalisée en 1982, et s'approchant le plus des spécifications initiales sera décrite ici.

Source de photons

Les premières expériences réalisées testant les inégalités de Bell, possédaient des sources de photons de faible intensité, nécessitant des temps d'expérience en continu de l'ordre de la semaine. Une des premières améliorations apportée par Alain Aspect est d'utiliser une source de photons de plusieurs ordres de grandeur plus efficace. Cette source permet un taux de détection de 100 photons par seconde, aboutissant à un temps d'expérience maximal de 100 secondes.

La source utilisée est une cascade atomique d'atomes de calcium, excitée avec un laser à krypton.

Polariseurs à orientation variable et en position éloignée

Un point particulièrement important qui devait être testé par cette expérience est qu'il fallait s'assurer que les corrélations entre les mesures faites par P1 et P2 ne soient pas induites par des effets d'origine «classique», et surtout par des artefacts expérimentaux.

A titre d'exemple, si on prépare les polariseurs P1 et P2 avec des angles fixes donnés α et β, on peut toujours imaginer que cet état fixe génère des corrélations parasites via des boucles de courant, de masse, ou autres effets. Car les deux polariseurs font partie d'une même installation et peuvent particulièrement bien être influencés l'un l'autre via les divers circuits du système expérimental, et générer des corrélations lors de la mesure.

On peut aussi imaginer que l'orientation fixe des polariseurs influe, d'une manière ou d'une autre, sur l'état avec lequel le couple de photons est émis. Dans ce cas, les corrélations de mesure pourraient s'expliquer par des variables cachées au niveau des photons, dès l'émission. (Ces observations avaient été faites à Alain Aspect par John Bell lui-même).

Une manière incontestable de mettre hors de cause ce genre d'effets - quels qu'ils soient - est que l'orientation (α, β) des polariseurs soit déterminée au dernier moment (après l'émission des photons, et avant la détection) et qu'ils soient suffisamment éloignés l'un de l'autre pour qu'aucun signal n'aie le temps d'aller de l'un à l'autre.

De cette manière, on ne peut invoquer ni une influence de l'orientation des polariseurs au niveau de l'émission des photons (car lors de l'émission, l'orientation est toujours indéterminée), ni une influence d'un polariseur sur l'autre (car les polariseurs sont trop éloignés l'un de l'autre pour pouvoir s'influencer).

En conséquence, dans le système expérimental d'Aspect, les polariseurs P1 et P2 étaient scindés de 6m de part et d'autre de la source, et de 12m l'un de l'autre. Cela donnait un temps de 20ns entre l'émission des photons et la détection : c'est le laps de temps extrêmement court pendant lequel il fallait décider de l'orientation et orienter les polariseurs.

Comme il est physiquement impossible de changer matériellement l'orientation d'un polariseur dans ce laps de temps, deux polariseurs par côté ont été utilisés, pré-orientés différemment. Un «aiguillage» à particulièrement haute fréquence de basculement orientait aléatoirement le photon vers l'un ou l'autre de ces polariseurs. La totalité de ce système était équivalent à un seul polariseur dont l'angle de polarisation bascule aléatoirement.

Comme il n'était pas envisageable non plus de provoquer le basculement des aiguillages par l'émission du couple de photons, chaque aiguillage basculait en fait périodiquement avec une période de 10ns, de manière asynchrone avec l'émission des photons. Mais compte tenu de la période, on était assuré que l'aiguillage bascule au moins une fois entre l'émission d'un photon et sa détection.

Polariseurs à deux canaux

Une dernière caractéristique importante de l'expérience de 1982 est l'utilisation de polariseurs à deux canaux, permettant d'avoir un résultat mesurable dans le cas (+) comme dans le cas (-). Les polariseurs utilisés jusqu'à l'expérience d'Aspect donnaient une détection dans le cas (+), et on n'obtenait aucune détection dans le cas (-). Ces polariseurs mono-canaux avaient deux inconvénients majeurs :

  • On ne pouvait aisément discerner le cas (-) d'une erreur d'expérimentation.
  • Ils devaient être soigneusement calibrés.

Les polariseurs à deux canaux utilisés par Aspect dans son expérience évitent ces deux inconvénients et permettent d'utiliser directement les formules de Bell pour calculer les inégalités.

Techniquement, les polariseurs utilisés étaient des cubes polarisants, transmettant une polarité et réfléchissant l'autre, émulant un système de Stern-Gerlach.

Résultats de l'expérience

Les inégalités de Bell permettent d'établir une courbe théorique du nombre de corrélations (++ ou --) entre les deux détecteurs comparé à l'angle relatif des détecteurs (α − β) . La forme de cette courbe est caractéristique de la violation des inégalités de Bell. L'correction des mesures à la forme de la courbe permet par conséquent d'établir, quantitativement et qualitativement, cette violation.

Les expériences d'Aspect ont confirmé sans ambiguïté la violation des inégalités de Bell comme le prévoyait l'interprétation de Copenhague de la mécanique quantique, infirmant par là même la vision réaliste locale d'Einstein de la mécanique quantique et les scénarios à variables cachées locales. Non seulement la violation était confirmée mais qui plus est , elle était confirmée précisément de la manière prédite par la mécanique quantique, avec un accord statistique jusqu'à 40 écart type !

Etant donné la qualité technique de l'expérience, le soin apporté pour éviter les artefacts expérimentaux et l'accord statistique presque parfait, cette expérience a beaucoup convaincu la communauté scientifique de la réalité de la violation des inégalités de Bell par la physique quantique et donc, de la réalité de la non-localité quantique.

Limites de l'expérience

Après ces résultats, certains physiciens ont - légitimement - continué à rechercher les failles de l'expérience d'Aspect et comment elle pourrait être perfectionnée pour ne prêter le flanc à aucune critique.

Il s'avère que des objections théoriques peuvent toujours être opposées à ce système :

  • L'aspect quasi-périodique des oscillations de l'aiguillage est gênant car on peut estimer que cela peut induire des corrélations par une quasi-synchronisation résultante des deux aiguillages.
  • Les corrélations (+, +), (-, -) etc. étaient comptées en temps réel, au moment de la détection. Cela implique que les deux canaux (+) et (-) de chaque polariseur étaient reliés entre eux, par des circuits physiques. Ici encore on peut imaginer que cela induise des corrélations.

Une expérience «idéale», évacuant toute possibilité imaginable actuellement de corrélations induites, devrait donc :

  • Avoir un aiguillage purement aléatoire et non quasi-périodique.
  • Enregistrer les résultats (+) ou (-) de chaque côté du système, sans lien physique entre les deux côtés. Les corrélations seraient calculées après l'expérience, en comparant les résultats enregistrés des deux côtés.

Expériences récentes

Les dernières failles mentionnées ci-dessus n'ont pu être réellement comblées qu'à partir de 1998. Entre-temps, l'expérience d'Aspect a été reproduite et la violation des inégalités de Bell a toujours été confirmée, avec une certitude statistique allant jusqu'à 100 écarts types.

D'autres expériences ont été menées pour tester les violations des inégalités de Bell avec d'autres observables que la polarisation, afin d'être toujours plus proche de l'esprit original du paradoxe EPR, où Einstein imaginait de mesurer sur une paire EPR deux variables conjuguées (comme la position et la quantité de mouvement)  : une expérience a été réalisée mettant en jeu les variables conjuguées (temps, énergie), avec ici encore confirmation de la mécanique quantique[3]

En 1998, l'expérience de Genève[4] a testé les corrélations entre deux détecteurs distants de 30 kilomètres, en utilisant le réseau suisse de télécommunication par fibre optique. Cette distance laisse bien plus de temps pour commuter les angles des polariseurs et il a par conséquent été envisageable d'implémenter un aiguillage purement aléatoire. D'autre part, les deux polariseurs éloignés étaient totalement indépendants et les mesures ont été enregistrées de chaque côté, puis comparées après l'expérience, en datant chaque mesure avec une horloge atomique. La violation des inégalités de Bell a une nouvelle fois été vérifiée dans ces conditions strictes et presque parfaites. Si l'expérience d'Aspect impliquait qu'un hypothétique signal de coordination se déplace deux fois plus vite que c, celle de Genève arrivait à 10 millions de fois c.

À cette date il ne restait qu'une seule faille imaginable recensée : les détecteurs n'ayant pas une sensibilité idéale (100%), il existe toujours des cas où les corrélations ne sont pas détectées, tandis qu'elles auraient dû l'être dans l'idéal. Il restait par conséquent l'ultime possibilité que les corrélations non détectées vérifient toujours les inégalités de Bell, faisant en sorte que le total vérifie globalement les inégalités de Bell (après tout, on ne peut pas, en toute rigueur, l'exclure).

En 2000, une expérience a eu lieu à Boulder sur les intrications d'ions piégés, avec une méthode de détection des corrélations particulièrement efficace[5]. La fiabilité de détection a été prouvée suffisante pour que l'expérience viole tout de même globalement les inégalités de Bell, même si l'ensemble des corrélations non détectées ne la violaient pas.

En 2001, l'équipe d'Antoine Suarez, comprenant Nicolas Gisin, qui avait participé à l'expérience de Genève, reproduit l'expérience avec cette fois des miroirs ou des détecteurs en mouvement, permettant d'inverser l'ordre des événements d'un référentiel à l'autre, conformément à la relativité restreinte (rappelons que cette inversion n'est précisément envisageable que pour les événements dont l'un n'est pas la cause de l'autre). Les vitesses sont choisies telles que lorsque chaque photon se réfléchit ou traverse le miroir semi-transparent, dans le référentiel attaché à ce miroir, l'autre photon s'est déjà réfléchi ou a traversé l'autre miroir (configuration "après-après" - en fait pour cette configuration, des ondes accoustiques jouaient le rôle de miroirs semi-transparents). Respectivement, une autre configuration testée permet que chaque photon soit réceptionné par un détecteur animé d'un mouvement tel que, dans le référentiel de ce détecteur, l'autre photon n'ait pas toujours été détecté, qu'il ait traversé ou se soit réfléchi (configuration "avant-avant"). Dans cette expérience aussi, les inégalités de Bell sont violées. [6]

Conclusion

Aujourd'hui, en 2009, la violation des inégalités de Bell par la physique quantique est clairement établie. On utilise d'ailleurs concrètement la violation des inégalités de Bell dans certains protocoles de cryptographie quantique, où la présence d'un espion est détectée par le fait que les inégalités de Bell ne sont plus violées.

On doit par conséquent admettre la non-localité de la physique quantique et la réalité de l'état d'intrication.

La causalité relativiste est-elle remise en question par l'expérience d'Aspect ?

Cette question se pose du fait d'une présentation des faits courante, selon laquelle "un objet quantique présente un état qui dépend instantanément de l'état d'un autre objet avec lequel il a été intriqué". Cette présentation en terme "d'influence non locale", est fréquemment utilisée dans les articles de vulgarisation, mais également (et volontairement) par certains scientifiques qui se réclament réalistes comme Alain Aspect lui-même, ou Bernard d'Espagnat[7].

Il y a alors au moins trois possibilités :

  • La première est qu'on doit se contenter d'appliquer des calculs qui donnent des résultats en accord avec l'expérience, sans se référer à une explication tirée de notre logique, "macroscopique" ou autre. Cette approche, dérivée de l'interprétation de Copenhague, est la plus couramment admise parmi les physiciens ("Calcule et tais-toi !", attribuée, certainement à tort, à Richard Feynman). Elle est fondée sur le fait qu'aucune explication des phénomènes EPR ne donne lieu à des vérifications ou des prédictions mesurables. En conséquence, la majorité des physiciens considère que les explications de cette expérience tombent en dehors du champ de la science (voir le critère de réfutabilité de Karl Popper). En effet, la majorité des explications manquent de formalisation théorique, et pour celles qui en possèdent, ne proposent pas de vérifications mesurables. Il s'agit par conséquent ici d'une approche empirique, visant à éviter toute dérive en dehors du champ de la science.
  • La seconde est que l'intrication a "unifié" les deux objets qui ont été soumis à une interaction : ces deux objets restent "un" malgré leur éloignement spatial ("non-localité de Bernard d'Espagnat"). Cet éloignement peut, en fait, même être temporel : il est principalement spatio-temporel. Aucune explication n'est , pour l'instant, donnée à ce qui est reconnu comme un résultat d'expérience et non pas une explication ou une interprétation de ce résultat. Cette approche qui veut en final expliquer les faits d'expérience est celle des rationalistes.
  • La troisième consiste à changer notre conception de la causalité ainsi qu'à accepter le principe d'une causalité rétrograde (un flux causal venant du futur et allant vers le passé), qu'on ne peut cependant assimiler à la "cause finale", "téléologique", des philosophes classiques. Il n'y a personne pour orienter les événements en fonction d'un objectif : la "backward causation" est de nature semblable à la causalité telle que nous la concevons ("causalité efficiente" des classiques), à ceci près qu'elle s'exerce à contre-courant comparé à l'écoulement du temps, et qu'elle "s'additionne" peut-être à la causalité "classique". Cette interprétation exige d'admettre que l'irréversibilité du temps n'est vraie qu'à l'échelle macroscopique (seconde loi de la thermodynamique), ce que refusent d'admettre de nombreux physiciens tel le physicien et philosophe Étienne Klein qui souligne que la flèche du temps est , selon lui, inscrite dans les symétries de la physique des particules. Cette interprétation a bien entendu un succès certain auprès de ceux qui développent des interprétations ésotériques de l'expérience, l'employant pour rendre "acceptables" des phénomènes parapsychologiques pour le moins controversés dans la communauté scientifique (surtout la précognition... Olivier Costa de Beauregard s'est malheureusement "illustré" dans la défense de telles thèses[8]. ) Mais cette interprétation est en particulier en contradiction flagrante avec les résultats même des expériences telles que celles-ci ont le plus fréquemment été réalisées : la ligne d'univers qui relie les événements "mesure P1" et "mesure P2" de l'espace-temps est une courbe de genre espace. Car, pour infirmer une interprétation alternative envisageable des corrélations observées au cours de ces expériences, les expérimentateurs se devaient totalement de montrer que la "causalité" relativiste ne pouvait pas expliquer, au moins en partie, ces mêmes résultats, y compris par des scénarios du genre : "photon ν1 informant, par quelque processus relativiste que ce soit, le photon ν2 de son état quantique après la première mesure... " Mais, il est idéalement clair que les précautions prises par les auteurs de ces expériences pour éliminer l'ensemble des explications de type "causale" relativiste éliminent en même temps toute explication de type "rétro-causale". Finalement, ce type de conception ne se réfère pas vraiment aux expériences ayant réellement été réalisées, amène des interprétations à la limite de la science, relève même occasionnellementde la pseudo-science, mêlant la physique quantique à un débat qui n'est pas le sien.

Quoi qu'il en soit, aucun physicien ne pense que les résultats des expériences EPR généralement, et de l'expérience d'Aspect surtout, qui sont en parfait accord avec l'interprétation de Copenhague de la mécanique quantique, ne remettent en cause, de quelque façon que ce soit le principe de relativité selon lequel nulle forme d'énergie (matière ou force), et donc, nulle information utilisable, ne peut se déplacer à une vitesse supérieure à celle de la lumière, ni, en conséquence, le principe de causalité relativiste qui en dérive. Il est en effet facile de montrer que l'intrication quantique ne est parfois utilisée pour transmettre de façon instantanée quelque information que ce soit d'un point de l'espace-temps à un autre ! Les résultats de mesure relatifs à la première particule sont de type aléatoire ; les modifications de l'état de l'autre particule induites par ces mesures, pour instantanées qu'elles soient selon l'interprétation de Copenhague de la mécanique quantique et les résultats de l'expérience d'Aspect, amènent à des résultats de mesure relatifs à la seconde particule qui sont , en apparence, tout aussi aléatoires : aucune information utilisable ne peut être scindément tirée de ces mesures sur le moment, et les corrélations resteront indétectables tant que les résultats de ces deux séries de mesures ne seront pas comparés. C'est par conséquent l'obligation inévitable, idéalement mise en évidence par ce type d'expériences, de disposer d'un signal "classique" au sens de la relativité pour transmettre l'information indispensable à la détection de ces corrélations, signal sans lequel on ne peut rien transmettre et qui détermine la célérité de la transmission d'information, qui vient réaffirmer le principe essentiel de la relativité. Par suite, le principe de causalité relativiste est , lui aussi, idéalement compatible avec les résultats des expériences EPR.

Notes

  1. (en) Erwin Schrödinger, «Probability relations between separated systems», dans Proc. Camb. Phil. Soc. , vol.  31, 1935, p.  555-563
  2. (en) Clauser, Horne, Shimony, «Proposed experiment to test local hidden-variable theories», dans Phys. Rev. Lett. , vol.  23, 1969
  3. (en) Brendel, Mohler, Martienssen, «Experimental test of Bell's inequality for Energy and Time», dans Europhys. Lett. , vol.  20, 1992, p.  575
  4. (en) Weihs, Jennewein, Simon, Weinfurter, Anton Zeilinger, «Violation of Bell's inequality under strict Einstein locality condition», dans Phys. Rev. Lett. , vol.  81, 1998, p.  5039 [résumé]
  5. (en) Rowe, Keilpinsky, Meyer, Sackett, Itano, Wineland, «Experimental violation of a Bell's inequality with efficient detection», dans Nature, vol.  409, 2001, p.  791 [résumé]
  6. (en) Antoine Suarez, Is there a real time ordering behind the nonlocal correlations?, 2001.
  7. Voir par exemple Corrélations, Causalité, Réalité
  8. D'Einstein à la télépathie

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